💡 Quotidien, radio, télévision, presse lifestyle, sports, économie, judiciaire, people, etc. "Dans la Rédac", découvrez l’envers du décor de vos médias préférés… Toutes les deux semaines, nous allons à la rencontre de celles et ceux qui, chaque jour, font parler des autres et couvrent l'actu : les journalistes ! Leur quotidien, la conception qu’ils ont de leur métier, leurs anecdotes les plus folles, leurs parcours, le futur des médias… Vous saurez absolument tout ! 🤯
Pour notre troisième épisode de “Dans la Rédac”, nous avons eu le plaisir d’accueillir Pierre-François Lovens, journaliste éco à La Libre ! Après avoir travaillé pendant six ans à L’Echo, il a intégré la rédaction de La Libre depuis 1998. Ses spécialités ? Le numérique, les technologies, l’entrepreneuriat, les investissements, la biotech, etc. Sans plus attendre, découvrons sa conception du métier de journaliste éco, les particularités de sa rédaction mais aussi l’avenir et les défis à relever pour le secteur des médias !
Ton premier contact avec le journalisme, c'était quoi ?
J’ai grandi dans un milieu familial d’universitaires, donc l’information avait une place importante à la maison. Mon père était abonné au Monde, on regardait le JT et il y avait une certaine exigence par rapport à ce que l’on consommait. Il a fallu attendre l’Université pour que j’achète moi-même un journal.
En 6e secondaire, l’idée de devenir journaliste germait dans un coin de ma tête, mais on parlait déjà de la crise de la presse, donc quand j’ai parlé de mon avenir à mes parents, ils m’ont conseillé de faire des études qui me permettraient de bifurquer si tout ne se passait pas comme prévu en tant que journaliste.
Je les ai écoutés et, comme je ne voulais pas faire du droit comme mon frère, j’ai commencé des études dans le domaine des sciences économiques. J’y ai pris goût, mais j’avais toujours cette ambition de faire du journalisme. En parallèle de mes études, j’ai d’abord commencé par une expérience en radio, chez Antipode, à Louvain-la–Neuve, là où j’étudiais. Puis, j’ai également eu la chance de travailler en tant que correspondant néolouvaniste pour le magazine étudiant Univers-Cité.
À quoi ça sert, un journaliste ? Qu'est-ce que c'est le journalisme, pour toi ?
Il y a une formule que j’aime assez bien qui dit que le journaliste doit « raconter l’histoire au quotidien ». Alors que les historiens racontent le passé, notre rôle est plutôt de raconter le présent. Les journalistes sont un peu des historiens du quotidien, dans un certain nombre de domaines.
Évidemment, il est impossible de tout raconter. C’est pour ça que, dans une rédaction, chacun est spécialiste de son domaine. À La Libre, je m’occupe de l’économie, mais certains de mes collègues s’occupent du secteur culturel, d’autres de la politique, etc.
Il faut faire attention car raconter des histoires, tout le monde peut le faire, mais le journaliste professionnel doit le faire avec rigueur et précision. Personnellement, je recoupe plusieurs fois mes sources pour être sûr de ce que j’écris et pour être au plus proche des faits. Comme dirait un célèbre rédacteur en chef du Monde, Beuve-Méry : « Le journaliste doit pouvoir remuer la plume dans la plaie », ce qui veut dire que celui-ci doit se faire mal, faire des choses moins chouettes avant de prendre du plaisir dans l’écriture et dans la mise en forme.
Lorsque tu prépares un sujet ou un reportage, comment ça se passe concrètement ? C'est quoi ton quotidien de journaliste ?
À La Libre, nous sommes organisés par services, qui sont les grands domaines de l’info que nous estimons importants. Pour l’économie, nous sommes une dizaine de salariés, avec chacun nos spécialités. Moi, j’axe surtout mon travail sur l’entrepreneuriat, l’innovation, les technologies… Et dans ces domaines, mon but est d’être force de proposition.
Chaque matin, j’arrive en réunion de rédaction avec des idées de sujets pour nourrir La Libre Belgique dans mon secteur. Ces idées, je les obtiens notamment grâce au réseau que j’ai construit durant toutes ces années. Je développe souvent des relations sur le long terme. On s’appelle, on se rencontre et évidemment, parfois, ça n’aboutit à rien. Mais assez souvent, ça me permet d’avoir des idées de sujets, de les sélectionner, puis de les traiter en choisissant l’angle le plus intéressant possible. Ces dernières années, le métier s’est aussi enrichit et complexifié, car il y a un gros travail de déclinaison de l’information à prendre en compte pour être présent sur les différents médias du groupe.
Qu'est-ce qui fait la particularité de ton média ?
Quand j’ai commencé ma carrière à L’Echo, c’était plus simple de se différencier, puisque c’était le seul quotidien économique en Belgique francophone.
À La Libre, c’est différent puisque des médias généralistes, il en existe plus d’un. Je pense déjà que nous nous démarquons au niveau du ton et de l’écriture. Nos journalistes n’ont pas la même plume que ceux qui travaillent dans les autres quotidiens. Tout est aussi une question de ligne éditoriale à laquelle il faut s’adapter quand on arrive dans un média.
À côté de ça, tous les journaux, La Libre y compris, se démarquent par la hiérarchisation des informations. Avec toute l’information qui circule au quotidien, on ne peut pas tout traiter, donc on sélectionne les domaines, les sujets sur lesquels on peut apporter une plus-value. Par exemple, au niveau économique, à partir de 2015, La Libre a commencé à s’intéresser aux start-ups… Cela nous a notamment permis de nous démarquer du Soir, en tout cas dans ce domaine-là.
Quel est le sujet qui t’a le plus marqué ?
Début 2023, grâce à un de mes contacts, j’ai pu entrer en relation avec une femme dont le mari a été poussé au suicide par le chatbot Eliza, un peu comparable à ChatGPT. C’était un scientifique assez anxieux sur les enjeux climatiques, et ne trouvant pas de solutions, il s’est réfugié dans ce chatbot qui l’a manipulé.
C’est sans doute l’une des premières victimes de l’intelligence artificielle et j’en ai fait un papier dans lequel j’explique l’histoire et j’interviewe Mieke De Ketelaere, une ingénieure belge spécialisée dans l’IA. Ce papier a eu une grande résonnance, puisque j’ai été contacté par des dizaines de médias étrangers de référence, comme le New York Times, qui avaient lu mon papier et voulaient entrer en contact avec la dame. Elle ne voulait pas divulguer son identité, mais voulait juste raconter cette histoire pour aider des personnes qui auraient pu être dans le cas de son mari. J’ai donc dû prendre le temps de tout refuser, mais franchement, ça a été une histoire marquante à laquelle j’ai envie de donner une suite, mais je réfléchis encore à comment le faire.
À quoi ressemblera ton métier en 2030 ? Qu'est-ce qui va changer ?
Pour moi, c’est un peu le brouillard. Tout dépend de si on regarde le verre à moitié vide ou à moitié plein. Le métier de journaliste n’a jamais été aussi indispensable, mais n’a jamais été aussi menacé.
D’un côté, je me dis qu’il y a de plus en plus d’individus qui remettent en question les faits. Ce n’est pas nouveau, mais ça va de plus en plus loin. Quand je vois ça, je me dis que ça déstabilise toute une profession, ça me fait peur et je ne sais pas vers quoi on va.
D’un autre côté, je pense qu’il peut y avoir un avenir différent, mais positif pour les journalistes. Depuis que j’ai commencé, ça a été une révolution permanente, que ce soit d’un point de vue technologique ou au niveau du traitement de l’information. On ne cesse de se réinventer et donc ma vision plus optimiste est de se dire qu’une technologie comme l’IA va faire de plus en plus partie de notre boîte à outils, même si je ne peux pas imaginer un monde de l’information où la technologie se substitue aux journalistes. Elle peut nous rendre beaucoup de services, mais n’aura jamais de conscience et de valeur d’âme.