💡 Quotidien, radio, télévision, presse lifestyle, sports, économie, judiciaire, people, etc. "Dans la Rédac", découvrez l’envers du décor de vos médias préférés… Toutes les deux semaines, nous allons à la rencontre de celles et ceux qui, chaque jour, font parler des autres et couvrent l'actu : les journalistes ! Leur quotidien, la conception qu’ils ont de leur métier, leurs anecdotes les plus folles, leurs parcours, le futur des médias… Vous saurez absolument tout ! 🤯
Pour le neuvième épisode de « Dans la Rédac », nous sommes allés à la rencontre de Demetrio Scagliola, rédacteur en chef de Sudinfo, tout simplement le média francophone le plus lu. Il nous explique tout, des particularités de sa fonction, à l’importance du journalisme de proximité, jusqu’à la nécessité pour une rédaction de se réinventer et d’innover au rythme du web et des réseaux sociaux !
Peux-tu nous raconter ton parcours ?
J’ai commencé le journalisme en 1990, dans la presse locale à Charleroi. C’était vraiment du journalisme de proximité, je me promenais, j’allais à la rencontre de personnes qui organisaient des événements, qui lançaient des projets, etc. C’était à la fois gai et instructif et le terrain a été une grande école pour moi : on y apprend l’empathie, le contact avec les gens, à se faire un réseau, à nouer une relation de confiance avec la personne qui nous fournit des informations, etc. Je dis d’ailleurs souvent aux jeunes journalistes que la vraie base du métier de journalisme s’apprend quand on va au contact des gens.
J’ai ensuite travaillé dans le domaine de la culture pour un média dans la région de Liège qui s’appelait “Le matin”, un quotidien national de gauche.
Quand je suis arrivé chez Sudinfo, j’ai commencé par être responsable de rédaction à la Nouvelle Gazette de Charleroi. À nouveau, je faisais beaucoup de journalisme de proximité, mais aussi pas mal de politique, en étant souvent en contact avec les représentants politiques lors de mes reportages. Je suis ensuite devenu journaliste à temps plein pour la cellule nationale de Sudinfo. J’ai successivement été “chef de l’information”, puis “rédacteur en chef adjoint” et depuis 2017, “rédacteur en chef”. Parallèlement à cela, j’ai aussi été présent en télé et en radio sur RTL, à la RTBF, etc.
Concrètement, qu’est-ce qu’un rédacteur en chef ?
Le rédacteur en chef est le garant de la ligne éditoriale, je dois donc faire les bons choix et mettre en place les bonnes stratégies pour faire évoluer le média. Avec l’aide d’autres rédacteurs, j’ai construit une nouvelle ligne éditoriale pour Sudinfo, toujours en priorisant ce côté proximité, mais en essayant de gagner en crédibilité et en investissant dans la déontologie. Je me suis concentré sur l’actualité, la politique et le sport local tout en développant le digital.
En tant que rédac’ chef, j’ai voulu “redonner le virus de l’info” aux journalistes, c’est-à-dire le fait d’être en recherche permanente de l’info. Avec nos qualités et nos défauts, nous sommes toujours en mouvement, en quête d’actualités : nous voulons être les premiers à donner une info qui nous semble à la fois pertinente et intéressante pour nos lecteurs.
Je suis aussi responsable du recrutement, du management des équipes. Je suis présent pour stimuler les journalistes, les mettre dans les meilleures conditions pour qu’ils s’améliorent. Cela implique également d’être la vitrine, l’ambassadeur, la personne de contact du monde extérieur, ce que sont aussi les chefs d’éditions.
Ce qui est sûr, c’est qu’en tant que rédacteur en chef, j’écris moins qu’avant. Je rédige des éditos et reçois des infos, mais la plupart du temps je les donne aux journalistes qui les traitent eux-mêmes.
Qu’est-ce qui fait la particularité de ton média ?
La proximité. J’ai instauré la règle de la triple proximité :
- Locale : être proche des gens géographiquement. C’est pour ça que nous avons des rédactions en Wallonie et à Bruxelles.
- Émotionnelle : traiter des sujets qui touchent toutes les communautés.
- D’intérêt : donner des bons plans pour économiser.
Nous avons aussi voulu développer la proximité dans le sport local. Nous essayons de mettre en pratique la phrase d’Andy Warhol “chacun aura son quart d’heure de célébrité mondiale” en mettant en avant des gens qui ne sont pas des stars mais qui méritent d’être dans le journal. On estime qu’à leur échelle ils ont fait quelque chose d’exceptionnel !
À part ça, Sudinfo est considéré comme le premier média francophone, mais c’est surtout le média le plus lu sur le web. Nous avons gagné une avance considérable sur le digital, une avance que nous essayons de garder et d’amplifier en développant des nouvelles stratégies : notamment en étant sur les réseaux sociaux, sur des nouvelles plateformes, en utilisant de la vidéo, etc.
Comment on gère une équipe avec autant de subdivisions ?
Nous avons 13 rédactions locales (ainsi que des sections sports et web). Pour gérer tout cela, la clé est de bien s’entourer, de déléguer, de faire confiance, d’être en contact avec ses équipes, de donner des guidelines, etc. Un rédacteur moderne ce n’est pas quelqu’un qui fait tout et veut tout faire, c’est quelqu’un qui n’a pas peur de s’entourer des meilleures personnes. Ce qui compte c’est la boite, la rédaction : au plus on est de talents complémentaires, au mieux ce sera.
Un sujet ou une anecdote t’a-t-elle particulièrement marqué dans ta carrière ?
Au début de ma carrière je suis allé aux Fourons. Ce sont des petits villages ruraux entre Liège et le Limbourg… qui étaient le centre de gravité du pays ! Chaque fois qu’il y avait une crise là-bas, le gouvernement était en danger. ll y avait des bagarres violentes, des morts parfois, des affrontements entre des flamingants et des wallons. Là-bas, j’ai même vu des hommes politiques se battre. C’était vraiment une autre époque.
Un autre exemple, c’est lors de la crise des “541 jours sans gouvernement” : nous avons été les premiers à avoir une interview d’Elio Di Rupo. C’est lui qui allait devenir Premier ministre, donc c’était vraiment exclusif.
Les équipes essayent en permanence d’avoir des exclusivités : ça ne fait pas tout mais dans un monde hyper concurrentiel, c’est bien d’être le premier à avoir les informations.
Comment un média comme Sudinfo se renouvelle dans le monde de l’information aujourd’hui ?
On fait une révolution permanente, nous ne nous reposons pas sur nos lauriers, nous essayons d’avoir toujours un coup d’avance sur les autres. Sudinfo a été le dernier média francophone à se lancer sur le web et pourtant aujourd’hui, il est le premier. Cela a été possible parce que nous avons mis en place une série de choses et qu’on a compris l’importance des réseaux.
Le web était considéré comme le journalisme de seconde zone et le print le journalisme noble. Notre particularité est que nos journalistes travaillent sur tous les canaux : d’abord le web, ensuite le print. Cela nous a permis d’arriver avec une masse de contenus sur le web, de toucher plus de sujets, de localités. Lors de comités web, on se remet en question, on cherche les nouvelles tendances, on fait des essais, on fait machine arrière si c’est nécessaire ! On est un laboratoire en évolution permanente.
À côté de ça, le papier reste important car touche des lecteurs traditionnels, même si c’est un business en légère décroissance. Nos quotidiens sont une espèce de “best off” du web : on y retrouve nos meilleurs sujets.
À quoi ressemblera ton média dans 30 ans ?
Dans le monde de la presse, 5 ans c’est déjà extrêmement loin ! Rien que dans ce laps de temps, j’espère que les journaux papiers seront encore là, mais je suis convaincu que les médias de proximité ont une vraie capacité de résilience.
Sinon, dans 30 ans, j’espère que l’IA aura fait des progrès mais qu’elle n’aura pas remplacé tous nos journalistes : une IA ne peut pas aller chercher une info, avoir un bon contact, un bon contenu. Enfin, peut-être que dans 30 ans, elles seront peut-être capables de faire ça ! Mais je pense que cela fera toujours la différence, et peut-être d’autant plus dans les médias de proximité !
J’espère aussi que dans les prochaines années, les gens comprendront que la vraie information, vérifiée, recoupée et travaillée par un journaliste a de la valeur, un prix. L’illusion du tout gratuit est dangereuse pour les rédactions.