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“Dans la Rédac” du Soir avec Arthur Sente

💡 Quotidien, radio, télévision, presse lifestyle, sports, économie, judiciaire, people, etc. "Dans la Rédac", découvrez l’envers du décor de vos médias préférés…  Toutes les deux semaines, nous allons à la rencontre de celles et ceux qui, chaque jour, font parler des autres et couvrent l'actu : les journalistes ! Leur quotidien, la conception qu’ils ont de leur métier, leurs anecdotes les plus folles, leurs parcours, le futur des médias… Vous saurez absolument tout ! 🤯

 

Pour le sixième épisode de la saison 2 de Dans la Rédac, nous nous sommes entretenus avec Arthur Sente, journaliste au pôle Enquêtes du journal Le Soir. Ensemble, nous avons discuté de son parcours, du processus d’enquête et de l’importance du carnet d’adresses dans ce secteur. 🕵🏼‍♂️

C’est parti !

Quel a été ton premier contact avec les médias et ton parcours avant d'intégrer Le Soir ? Travailles-tu aujourd'hui au pôle Enquêtes par vocation ou ce chemin s'est-il dessiné au fil du temps ?

Lors de mon adolescence, je vivais à la campagne, mais étudiais en ville, donc, chaque jour, je devais rejoindre ma mère au travail après les cours et l’attendre dans son bureau avant de rentrer chez moi. Elle était abonnée au Courrier de l’Escaut, une édition locale de Tournai, et c’est là que j’ai commencé à feuilleter le journal, pour passer le temps.

 

En ce qui concerne ma carrière professionnelle, ça n’a jamais été une vocation ni un rêve d’adolescent. 

 

J’ai décidé de m’inscrire à l’IHECS sur les conseils d’amis qui avaient participé aux journées portes ouvertes. C’est un programme assez axé sur la pratique et c’est cela qui m’a intéressé. Puis, au fil de mes études, j’ai découvert ma passion pour le journalisme. 

 

J’ai ensuite fait des stages, notamment à L’Echo, où j’ai eu la chance de pouvoir rester en tant qu’étudiant en raison de besoins ponctuels. Un congé maternité m’a permis de continuer un an de plus, ce qui a été déterminant dans mon entrée dans le métier. À partir de là, je suis devenu pigiste avant d’intégrer la rédaction du Soir, où j’ai d’abord couvert les affaires régionales bruxelloises, puis les thématiques policières et judiciaires. 

 

Honnêtement, la perspective de faire un métier dans un contexte qui favorise l’enquête était dans un coin de ma tête, car c’est pour moi la base du journalisme, mais le fait de travailler sur les thématiques judiciaires est venu plus tard.

 

Les informations policières occupent une place centrale dans tous les médias. Comment vous différenciez-vous au Soir et quelles sont les différentes étapes dans le processus d'une enquête ?

Je ne pense pas qu’on cherche à se démarquer intentionnellement. 

 

Ce qu’on tente de faire, c’est d’aborder potentiellement tous les sujets, même sensibles, sans se mettre de limites, tout en maintenant une démarche déontologique rigoureuse. On veille à bien documenter les sujets, à les creuser au maximum et à recouper nos informations. Je dirais que notre spécificité réside davantage dans notre façon de travailler que dans les sujets que nous traitons.

 

Il existe plusieurs manières d’amorcer une enquête. Parfois, cela part d’une information reçue d’une source, un contact dans notre réseau qui nous communique une donnée jugée d’intérêt public. Mais dans ce cas, il est essentiel de vérifier cette information en la recoupant avec d’autres sources, en interrogeant des témoins, en cherchant des documents ou en faisant des recherches supplémentaires. Aussi, parfois, une enquête débute à partir d’une question, d’une observation sur un phénomène de société, et on se demande s’il existe des données sur ce phénomène. Ce sont deux façons de commencer, mais le processus reste plus ou moins similaire.

 

Tu as mentionné les sources, quelles sont-elles pour toi ? Et dans quelle mesure est-il difficile de collaborer avec elles ?

Un bon journaliste judiciaire doit absolument avoir dans son carnet d’adresses des acteurs clés du secteur : policiers, magistrats, responsables de maisons de justice, criminologues…, mais il est essentiel de diversifier ces contacts afin d’obtenir des points de vue variés. Cela permet d’assurer une couverture la plus objective possible.

 

Il y a également un travail à long terme, celui de créer une relation de confiance avec ces sources. Il faut leur montrer que lorsque nous recevons une information, nous la traitons de manière correcte, sans la dénaturer ni l’exploiter de façon sensationnaliste. À côté de ça, l’une des difficultés majeures pour un journaliste est d’établir ce climat de confiance tout en maintenant une certaine distance, car il doit préserver sa neutralité. 

 

En ce qui concerne les sources, elles préfèrent souvent rester anonymes, et il existe un principe universel en journalisme : le secret des sources. Si une source souhaite garder l’anonymat, elle en a le droit. Toutefois, cela peut parfois compliquer l’utilisation du témoignage, car son anonymat diminue la valeur de l’information, puisqu’il n’y a pas vraiment de responsabilité directe liée au propos.

 

 

La course à l’information est un enjeu constant dans le journalisme. Comment parvenez-vous, au Soir, à conjuguer rapidité et rigueur dans vos enquêtes, et à quel moment estimez-vous qu’un article est prêt ?

 

Dans un média disposant de nombreux moyens humains sur le terrain, il est plus facile de réagir rapidement, car on peut envoyer quelqu’un immédiatement dès qu’un événement se produit. En revanche, dans la presse écrite, et particulièrement chez nous, les moyens sont plus limités. La rapidité, dans mon domaine, dépend donc d’un réseau de sources fiables, mais elle reste toujours contrainte, car, peu importe la fiabilité d’une source, il est essentiel de vérifier chaque information, ce qui prend forcément du temps. Il est primordial d’assumer à 300 % les informations que l’on publie. 

Le temps nécessaire pour mener une enquête varie en fonction du sujet. Certaines enquêtes peuvent être réalisées en une journée : on reçoit l’information le matin, on enquête et vérifie dans la journée, et l’article peut être publié le soir même. 

D’autres, en revanche, peuvent durer plusieurs mois, voire une année. Parfois, une enquête est suspendue parce qu’on bloque à un certain stade ou parce qu’une source hésite à fournir une information, et cela repousse la perspective d’une publication. L’article est prêt lorsque l’on possède suffisamment d’éléments vérifiés pour raconter une histoire digne d’intérêt pour le public et qui nous paraît suffisamment complète pour éclairer un enjeu sans omettre d’élément important. 

Cela peut être frustrant, mais c’est aussi ce qui rend ce métier passionnant. Parfois, une information que l’on n’a pas pu exploiter immédiatement peut être réutilisée plus tard, grâce à un hasard ou à une nouvelle donnée qui tombe. Rien n’est jamais perdu, car il arrive fréquemment qu’une impasse soit levée plusieurs mois après.

 

Le journalisme repose sur un cadre déontologique strict, à la fois éthique et légal. As-tu déjà été tenté de franchir certaines limites pour faire avancer une enquête ? Et as-tu été confronté à des représailles, comme des menaces, suite à la publication de certains articles ?


Je ne pense pas avoir déjà franchi les limites de la déontologie. 

J’ai la chance de travailler au sein du pôle Enquêtes, où nous sommes plusieurs à échanger régulièrement, notamment avec notre responsable, Xavier Counasse. Il est facile de discuter entre nous tout au long du processus d’enquête. Et avoir la possibilité d’échanger sur son travail et ses méthodes permet de se prémunir contre d’éventuelles fautes déontologiques, éthiques ou légales. 

Il m’est déjà arrivé de devoir publier un droit de réponse lié à un article que j’avais écrit, à la demande d’une personne citée dans l’article. Ce n’est pas exactement un acte de représailles, même si cela jette un doute sur le fait que notre travail aurait pu être mal fait, ce qui n’était pas le cas. Parfois, nous recevons aussi des messages ou des appels, plus ou moins amicaux, pour nous faire savoir que l’article n’a pas été apprécié (rires), ce sont les risques du métier.

 

Parmi toutes les enquêtes que tu as menées, laquelle t’a le plus marqué ?

Il y en a plusieurs, mais celle qui me vient immédiatement à l’esprit est une enquête collaborative réalisée avec un réseau d’une quinzaine de médias internationaux sur un logiciel espion israélien utilisé dans de nombreux pays pour traquer et réprimer des opposants politiques. C’était ma première expérience d’enquête collaborative à l’échelle internationale, en partenariat avec des journalistes de grands médias que je respecte beaucoup, comme Mediapart et Der Spiegel et j’ai énormément appris en travaillant avec des journalistes d’investigation bien plus chevronnés.

 

En parallèle, il y a aussi l’affaire Sabrina et Ouassim, qui raconte le tragique décès de deux Bruxellois suite à une course-poursuite, se terminant par une collision avec un véhicule de police. À partir des éléments du dossier judiciaire, nous avons créé, en collaboration avec la plateforme de recherche et de contre-enquête belge Retrace, une vidéo de 10 minutes qui retrace cet événement, avec l’utilisation de supports visuels pour rendre compte de ce qui s’est passé. 

 

Ça a été un travail marquant de l’année dernière, car nous avons vraiment tenté quelque chose d’innovant dans la presse belge. Bien que des formats similaires existent en France ou au Royaume-Uni, c’était assez inédit ici. 

 

On se donne rendez-vous dans deux semaines pour découvrir le prochain épisode de "Dans la Rédac" avec un•e journaliste belge emblématique !