20 February 2025
Pour le neuvième épisode de la saison 2 de Dans la Rédac, nous nous sommes entretenus avec Benoit Franchimont, rédacteur en chef du Soir Mag. Ensemble, nous avons discuté de son parcours, des particularités d’un magazine hebdomadaire, de son rôle de rédacteur en chef et de l’avenir du papier.
C’est parti !
J’ai toujours eu le nez dans les journaux. J’achetais Le Vif et La DH, et mes parents étaient abonnés à L’Avenir, donc les médias ont très vite fait partie de mon quotidien. Je me suis rapidement intéressé à ce domaine, et je savais que je ne voulais rien faire d’autre que du journalisme. J’ai des souvenirs précis de mon internat : les élèves des dernières années réalisaient un magazine d’information interne, et j’étais fasciné par l’impact que ça avait.
Ensuite, tout est allé très vite. J’ai entamé des études en communication sociale avec l’objectif clair de devenir journaliste. Pendant mes années universitaires, j’ai collaboré avec plusieurs médias, dont Le Vif/L’Express. Ils avaient lancé une rubrique intitulée « L’Hebdo J », où des jeunes de 20 ans pouvaient écrire sur ce qui les préoccupait. Ça a été mon premier pas concret dans le métier.
Au fil de mes études, ce qui m’a particulièrement passionné, ce sont les enquêtes judiciaires. C’était l’époque des tueurs du Brabant, un sujet qui me fascinait en tant que lecteur. J’ai envoyé de nombreux mails pour postuler comme jobiste, et La DH m’a répondu. J’ai eu la chance de travailler avec Gilbert Dupont, une figure que j’admirais dans le journalisme judiciaire. Je me souviens encore des dimanches où je travaillais pour 20 euros : c’était peu, mais c’est là que j’ai vraiment appris les bases du métier. Après mes études, Daniel Van Wylick m’a engagé. Et 16 ans plus tard, c’est lui qui m’a demandé de venir travailler au Soir Mag.
Donc l’histoire est belle.
On se démarque en insistant sur nos points forts : l’actualité royale, le people haut de gamme (davantage les personnalités politiques, mais moins les figures de téléréalité) et une grande variété de sujets de société et d’histoires.
Par exemple, parmi nos meilleures ventes en 2024, on retrouve le numéro sur la mort d’Alain Delon, comme beaucoup de magazines, mais aussi un numéro spécial dédié aux 80 ans de la libération de Bruxelles. Ce sont des thématiques qui plaisent particulièrement à nos lecteurs.
Contrairement à nos concurrents, notre lectorat est légèrement plus âgé. Nous sommes d’ailleurs le numéro un auprès des 45 ans et plus. C’est une donnée importante, car elle influence nos choix éditoriaux. Nous faisons en sorte que le contenu soit adapté à cette audience. Par exemple, nous publions des articles sur des sujets pratiques, comme la préparation de la retraite, tout en veillant à ne pas nous enfermer dans une image trop orientée vers les seniors en proposant aussi des interviews de personnalités actuelles et des chroniques plus modernes, comme des critiques de jeux vidéo. L’idée, c’est que même si une grand-mère achète Le Soir Mag, le magazine peut très bien se retrouver entre les mains de son petit-fils.
Il faut avant tout savoir que nous sommes une petite équipe composée d’une dizaine de salariés et d’une vingtaine d’indépendants, avec des profils variés, pas uniquement des journalistes. Mon rôle principal est de coordonner tout cela, ce que j’aime appeler « l’animation ». Cela consiste à suivre l’actualité tout en échangeant avec l’équipe pour identifier et traiter les sujets les plus pertinents.
Bien sûr, j’ai beaucoup moins de temps pour écrire qu’avant, mais c’est quelque chose d’essentiel pour moi. Par exemple, je tiens une rubrique sur l’argent chaque semaine, je rédige un édito, et j’essaie aussi de m’occuper de quelques dossiers importants. Après tout, c’est pour ça que j’ai choisi ce métier. Et puis, il faut le dire, nous sommes une équipe trop petite pour qu’un rédacteur en chef reste assis sur son trône sans mettre la main à la pâte (rires). Ici, ça ne fonctionne pas comme ça !
Nous avons une équipe dédiée à l’alimentation du site web, et il est vrai que le papier et le web suivent deux lignes éditoriales légèrement différentes. Sur le site, nous mettons davantage l’accent sur le contenu people par rapport au magazine, car la cible y est un peu plus jeune. Le site du Soir Mag est directement lié à celui du Soir : donc vulgairement, nous représentons la branche people de Soir.
Nous y intégrons également tous les articles parus dans le magazine papier du mercredi précédent, ce qui permet une continuité. Le site se développe bien, mais, pour être honnête, notre « business model » repose encore majoritairement sur le papier. Nous avons la chance de pouvoir compter sur un lectorat fidèle, et j’espère que cela continuera ainsi, même si, à terme, une transition plus importante vers le web sera probablement inévitable.
Le maître mot, c’est l’anticipation.
Par exemple, pour le dossier consacré à Trump que nous avons publié récemment, nous n’avons pas attendu sa prestation de serment. Nous avons sorti, en amont, un dossier qui présentait qui il est, ses positions et les dangers potentiels pour la démocratie américaine. Ce travail a été fait une semaine avant l’événement. Si nous avions attendu pour publier ce contenu après la prestation de serment, nous aurions été beaucoup moins pertinents. Cela dit, même pour des sujets d’actualité, tout dépend de l’angle choisi. C’est une notion sur laquelle j’insistais toujours lorsque j’enseignais à l’IHECS : l’angle peut transformer un sujet en une histoire intemporelle ou lui donner une pertinence nouvelle.
Il existe principalement deux points de convergence entre Le Soir et Soir Mag.
D’abord, notre site web est lié au leur, car nous contribuons à la section people. Par exemple, un article sur un sujet comme le faux Brad Pitt récemment, est hébergé sur le site du Soir, mais lorsque les lecteurs cliquent dessus, ils sont redirigés vers le site du Soir Mag.
Ensuite, nous partageons les graphistes : l’équipe en charge des aspects visuels travaille à la fois pour Le Soir et pour Soir Mag. Cependant, au niveau éditorial, les deux rédactions fonctionnent de manière assez indépendante, ce qui est logique puisque nos lectorats respectifs sont assez différents.
J’ai eu un scoop en 1996, au sujet du premier cas de vache folle en Belgique. Cela concernait des aliments contaminés par de la farine et ça a fait énormément de bruit, avec des conséquences sanitaires majeures.
À l’époque, j’étais le premier à avoir cette information.
C’est d’ailleurs la seule fois de ma carrière où un ministre m’a appelé directement pour me demander de retarder la publication de mon article. Ce que, bien sûr, je n’ai pas fait (rires). Mais c’était le genre de scoop où il faut être particulièrement rigoureux : je crois que j’ai vérifié mes informations au moins dix fois avant de les publier (rires).
Pour l’instant, aucun magazine n’a trouvé une solution réellement rentable avec son site web et c’est un problème. Mais c’est aussi le grand défi des prochaines années : comment les magazines vont-ils réussir à basculer vers un modèle de contenu payant ? Les journaux tâtonnent encore, et c’est normal.
Pour ce qui est du Soir Mag, on voit une érosion du lectorat, mais elle reste gérable. Si on arrive à réduire les coûts de fonctionnement tout en conservant un nombre suffisant de lecteurs, cela peut encore durer un moment.