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“Dans la Rédac” du JDE avec Nathalie Lemaire

💡 Quotidien, radio, télévision, presse lifestyle, sports, économie, judiciaire, people, etc. "Dans la Rédac", découvrez l’envers du décor de vos médias préférés…  Toutes les deux semaines, nous allons à la rencontre de celles et ceux qui, chaque jour, font parler des autres et couvrent l'actu : les journalistes ! Leur quotidien, la conception qu’ils ont de leur métier, leurs anecdotes les plus folles, leurs parcours, le futur des médias… Vous saurez absolument tout ! 🤯

 

Pour le huitième épisode de la saison 2 de Dans la Rédac, nous nous sommes entretenus avec Nathalie Lemaire, journaliste au JDE. Ensemble, nous avons discuté de son parcours, des particularités d’un journal qui s’adresse aux enfants et aussi de leur manière de décliner leurs contenus au niveau digital.

C’est parti !

Peux-tu nous parler de ton premier contact avec le monde des médias et de ton parcours jusqu'à devenir journaliste pour le JDE ?

Comme beaucoup de gens, mon premier contact avec les médias s’est fait via la télévision et la radio lorsque j’étais enfant. Mais la presse écrite n’était pas quelque chose de présent dans mon quotidien, car ma famille ne lisait pas de journaux. C’est vraiment au cours de mes études en journalisme que j’ai commencé à m’intéresser à cet univers.

 

Après avoir obtenu mon diplôme à l’université, mes débuts n’ont pas été simples. J’ai dû chercher du travail pendant environ un an avant de décrocher un poste. En 1993, j’ai rejoint le JDE (Journal des Enfants), qui venait tout juste d’être créé. À l’époque, c’était un contrat à temps partiel, mais au fil des années, mes responsabilités et mon temps de travail ont augmenté. Aujourd’hui, je suis heureuse de contribuer pleinement à ce média destiné aux plus jeunes. 

 

La plupart des journalistes écrivent pour un public adulte, mais au JDE, vous vous adressez à des enfants. Comment cela influence-t-il votre manière de travailler et de raconter l’actualité ?

Au JDE, on écrit principalement pour des enfants de 9 à 13 ans, dont les deux tiers découvrent notre journal via leur école. Cela influence clairement notre travail, notamment dans le choix des sujets et dans notre manière d’écrire.

 

Lorsqu’on rédige un article, on part du principe que les enfants n’ont aucun prérequis sur le sujet abordé. Cela nous oblige à tout expliquer de manière claire, en reprenant les bases et en replaçant constamment les informations dans leur contexte. On utilise de courtes phrases simples, et on évite le passé simple pour privilégier des formulations plus accessibles. Le vocabulaire est également adapté : si un terme complexe est incontournable, on l’explique directement dans la phrase, souvent entre parenthèses.

 

Une autre règle importante est de structurer nos articles de façon chronologique. On évite les flashbacks… qui pourraient perturber la compréhension des jeunes qui nous lisent. Ce style d’écriture n’est pas enseigné à l’école de journalisme, et il demande une véritable adaptation. Pour ma part, cela a été naturel, probablement grâce à mon expérience comme animatrice chez les louveteaux, où j’ai appris à m’adresser aux enfants. Mais je sais que certains journalistes rencontrent davantage de difficultés à adopter ce ton assez particulier.

 

Et au niveau du choix des sujets ? Comment est-ce que ça se passe ?

Il n’y a pas vraiment de sujets interdits, mais on fait attention à ne pas traiter des thèmes trop sordides ou trop choquants, surtout si ce n’est pas essentiel. Par exemple, les faits divers qui n’ont pas de portée plus large, on les laisse de côté. Mais quand il s’agit d’un événement incontournable dans l’actualité, on s’y attarde, en prenant soin de choisir nos mots et d’aller à l’essentiel.

 

On essaie de trouver un équilibre : il ne faut pas minimiser ce qui se passe, mais il ne faut pas non plus en rajouter inutilement. Par exemple, pour des drames comme les attentats de Charlie Hebdo, on a expliqué les faits, mais toujours avec une grande prudence. 

 

L’idée, ce n’est pas de rajouter de l’horreur sur de l’horreur, mais plutôt d’aider les enfants à comprendre ce qui s’est passé. C’est un exercice particulier, parce qu’il faut être factuel tout en restant accessible et adapté à leur âge. 

 

 

Pourquoi avoir choisi de cibler précisément les 9-13 ans comme audience principale du JDE ? Y a-t-il une raison particulière ?

 

Pas spécialement, mais il y a une logique derrière. Pendant longtemps, on ciblait les 8-12 ans. Puis, on a vite remarqué que beaucoup d’enfants de 12-13 ans continuaient à nous lire, alors qu’on avait assez peu de lecteurs parmi les 8 ans. Ça nous a poussés à légèrement réajuster notre cible.

Après, il y a bien sûr des exceptions. Par exemple, il y a quelques jours, j’ai reçu un mail d’un enfant de 5 ans qui lisait le JDE. Je n’y croyais pas tellement, donc j’ai demandé confirmation à sa maman, et elle m’a assuré qu’il le lisait bel et bien. Ce genre de cas reste exceptionnel. En général, avant 8 ans, les enfants sont encore dans l’apprentissage de la lecture et n’ont pas encore assez d’aisance pour comprendre nos articles.

Nous, ce qu’on veut, c’est que chaque lecteur soit autonome. Le JDE, ce n’est pas un journal que les parents lisent à leurs enfants. C’est pensé pour qu’un enfant puisse le lire seul, comprendre et apprendre sans aide.

À l’inverse, on reçoit parfois des messages d’ados de 14 ou 15 ans qui nous demandent ce qu’ils pourraient lire une fois qu’ils dépassent l’âge du JDE. Malheureusement, il n’y a pas vraiment de médias adaptés à cet âge-là. La transition vers les médias traditionnels peut donc être un peu brutale.

 

Étant donné que votre audience (les 9-13 ans) est moins présente sur les réseaux sociaux qu’un public traditionnel, comment adaptez-vous votre stratégie de communication digitale ?

 

C’est vrai que c’est un peu particulier. Officiellement, les enfants de 9 à 13 ans ne sont pas censés être sur les réseaux sociaux, mais on sait qu’en réalité, beaucoup y sont quand même (rires). Malgré tout, même quand ils y sont, leur attention est vite détournée. Les réseaux sociaux, pour eux, c’est plus un espace pour s’amuser, regarder des vidéos ou échanger avec leurs amis que pour lire des posts du JDE.

Du coup, on adapte notre approche. On propose des formats digitaux courts, simples et visuels, qui collent aux codes des réseaux sociaux. Par exemple, on crée des petites vidéos, des animations ou des visuels percutants qui donnent envie de s’arrêter quelques secondes. Mais on va aussi un peu plus loin avec des formats qui nous ressemblent davantage, comme le « Dessine-moi une actu ». Dans ce format, on répond à une question posée par un enfant en utilisant un dessin, ce qui est à la fois ludique et pédagogique.

Une autre initiative qu’on aime beaucoup, c’est d’organiser des rencontres entre nos lecteurs et des personnalités. Une fois par mois, on invite quelqu’un à aller directement dans une classe pour échanger avec les enfants. Ça donne lieu à de super discussions qu’on transforme ensuite en capsules vidéo pour les réseaux sociaux. Par exemple, récemment, on a accueilli Arnaud De Lie pour parler de cyclisme ou encore Jean-Pascal van Ypersele pour aborder le sujet du réchauffement climatique. 

Ce sont des moments qui créent un vrai lien entre le JDE et son jeune public, même au-delà du journal.

 

Les thématiques environnementales reviennent souvent dans vos contenus. Penses-tu que le JDE a une mission particulière d’éducation et de sensibilisation sur ces sujets auprès des jeunes ?

 

Je pense que, quelque part, il y a une forme de mission d’éducation, mais ce n’est pas vraiment comme ça qu’on le voit ou qu’on le conçoit au départ. On ne se dit pas : « On doit sensibiliser les enfants à tout prix »

 

Notre approche reste avant tout journalistique. On fait de l’information.

 

Après, c’est vrai que les thématiques environnementales reviennent souvent, mais c’est parce que les enfants eux-mêmes sont très curieux et préoccupés par ces questions. Ils sont demandeurs de ce genre de sujets. Pas plus tard que cette semaine, j’ai reçu un mail d’un enfant qui me demandait si on pouvait faire un article sur la protection de notre planète. Ce genre de demande, on en reçoit régulièrement, et ça montre à quel point ces enjeux les touchent.

 

Donc oui, d’une certaine manière, on contribue à leur éducation et à leur sensibilisation, mais ce n’est pas une mission imposée ou réfléchie comme telle. C’est simplement une réponse naturelle à l’intérêt et aux préoccupations de notre jeune public. On suit leurs envies, leurs questions, leurs inquiétudes, et on essaye d’y répondre avec des contenus adaptés et accessibles.

 

 

Comment se passe la collaboration avec les différentes écoles ?

Chaque semaine, les classes et les enseignants qui utilisent le journal en classe reçoivent des supports pédagogiques en lien avec nos articles. Ensuite, les enseignants sont libres de faire ce qu’ils veulent avec. On n’a pas vraiment de contrôle sur ce qu’ils en font, mais on observe tous les cas de figure : certaines classes sont totalement abonnées et chaque élève a son propre journal, d’autres n’en prennent qu’un ou deux exemplaires pour partager. On a même des abonnements très courts pour des périodes précises, par exemple pour tester ou pour des projets spécifiques. C’est complètement variable, semaine après semaine.

 

Ce qui est chouette, c’est qu’on a aussi mis en place un système avec une trentaine de classes partenaires cette année. Ces classes-là, on les sollicite régulièrement. Par exemple, on parle du fait que le smartphone va être interdit à l’école et on a un rendez-vous prévu avec la ministre de l’Enseignement, donc on leur demande : “Quelles questions vous vous posez sur ce sujet ?”. Idem pour notre format “Dessine-moi une actu” : on leur demande souvent de nous envoyer leurs questions. Et parfois, on leur demande : “Quels sujets aimeriez-vous voir dans le prochain numéro ?”.

 

Tout ça, c’est vraiment une plus-value énorme pour nous. Ça nous aide à mieux comprendre ce que les enfants veulent lire, ce qui les intéresse, et du coup, ça nous permet d’être plus efficaces, tant dans notre écriture que dans le choix des thématiques. On s’assure que le contenu qu’on propose leur convienne.

 

 

Et quels sont les sujets qui sont les plus demandés ?

Alors, ce qui revient le plus, c’est tout ce qui touche à l’environnement : la protection de la nature, des animaux, la pollution… Ensuite, il y a le sport, bien sûr, mais aussi tout ce qui concerne leurs artistes préférés

 

Les sujets autour des sciences et des nouvelles technologies sont aussi très demandés. 

 

Et puis, il y a des sujets ponctuels qui font vraiment réagir, comme les élections, par exemple.

 

 Ils ont vraiment envie de comprendre ce qui se passe.

 

 

Le concept de l’Agence Kids, où des enfants peuvent écrire des articles sur votre site, est assez unique. Pourquoi avez-vous eu envie de lancer cette initiative et comment ça fonctionne concrètement ?

En fait, on recevait souvent des demandes d’enfants qui nous disaient « J’aimerais bien écrire un article pour votre journal ». Le problème, c’est que ce n’est pas vraiment l’identité du journal. Le JDE, c’est un journal pour les enfants, mais écrit par des journalistes, pas par des enfants.

 

Alors, avec le digital, on s’est dit : pourquoi ne pas leur offrir un espace sur notre site ? Et c’est comme ça qu’est née l’Agence Kids. C’est un endroit où les enfants peuvent écrire leurs articles et nous les envoyer. On se charge de corriger les fautes d’orthographe, et parfois de leur demander de développer certaines idées si nécessaire, puis on publie. L’avantage, c’est qu’on obtient des articles sur des sujets très divers, venant de tous les horizons. Parfois, c’est un sujet sérieux, d’autres fois, c’est quelque chose de très personnel. C’est hyper varié et totalement libre.

 

 

C’est un public qui a besoin d’un contact humain, encore plus que les adultes. Comment vous adaptez-vous à cela ?

Oui, c’est vrai, les enfants ont toujours des étoiles dans les yeux quand ils voient un journaliste du JDE arriver dans leur classe. Du coup, en plus de l’invité mensuel qui va dans une classe, comme je l’ai mentionné tout à l’heure, on va souvent à leur rencontre pour réaliser des reportages. Par exemple, si on parle d’une exposition ou d’un musée, on ne va pas aller à la visite de presse, on accompagne directement une classe. C’est vraiment dans cette proximité et ce contact direct qu’ils se sentent les plus impliqués.

 

Pour finir, as-tu une anecdote marquante à propos du JDE ?

Je n’ai pas une anecdote précise, mais je me souviens bien du début du JDE. On a vraiment dû batailler pour justifier son existence. On nous disait que l’actualité n’intéressait pas les enfants, comme si eux ne se posaient aucune question… Mais c’est totalement faux. On a dû à plusieurs reprises démontrer que, oui, les enfants sont curieux, qu’ils savent ce qui se passe dans le monde. Ils se posent des questions, et il est important de leur apporter des réponses adaptées, plutôt que de les laisser imaginer n’importe quoi. 

 

Heureusement, aujourd’hui, ces préjugés ont presque disparu. Tout le monde, ou presque, trouve normal qu’un tel journal existe. Ce qui nous fait vraiment plaisir, c’est qu’on rencontre de plus en plus de parents ou de profs qui étaient eux-mêmes abonnés au JDE quand ils étaient enfants. Même quand on rencontre des artistes ou des personnalités, dès que je leur explique ce qu’on fait, il suffit que je mentionne le JDE et tout de suite, ils me disent « Ah, je connais, j’étais abonné quand j’étais petit ! » C’est toujours un super moment.

 

On se donne rendez-vous dans deux semaines pour découvrir le prochain épisode de "Dans la Rédac" avec un•e journaliste belge emblématique !