Pour le quinzième épisode de la saison 2 de Dans la Rédac, nous nous sommes entretenus avec Marie Guérin, rédactrice en chef pour ELLE Belgique. Ensemble, nous avons discuté de son parcours, de son rôle de rédactrice en chef, de la ligne éditoriale du magazine, mais aussi de l'avenir du journalisme et de ses anecdotes croustillantes.
J’ai toujours été une très grande lectrice, même enfant. Je pense que je tiens ça de ma maman. Donc même si je ne lisais pas que des articles, j'en lisais.
En tout cas, à 8 ans déjà, je savais que je voulais devenir journaliste. J’adorais poser des questions aux gens, à tel point que je m’étais acheté un dictaphone pour faire des microtrottoirs à Sambreville, là où j’ai grandi. À 12 ans, j’ai eu mon premier caméscope pour imiter les reporters que je voyais à la télé et une fois arrivé dans le secondaire, j’ai choisi une filière littéraire dans laquelle je faisais tous mes travaux avec l’idée en tête de devenir journaliste. Puis quand il a fallu choisir mes études supérieures, je suis allé à l’IHECS, parce que j’avais besoin de concret, de pratique. C’était, pour moi, le meilleur endroit pour ça. Mais une fois sur place, tu réalises vite qu’il y a énormément d’étudiants talentueux et passionnés. Tu sais que si tu veux t’en sortir, il va falloir te démarquer. C’est là que j’ai décidé d’allier mes deux passions : le journalisme et la mode. Et puis, en plus du fait que c’était une passion, il faut dire que le paysage médiatique belge n’est pas particulièrement engagé. Et moi, à cet âge-là, je ressentais un vrai besoin d’engagement. J’avais envie de travailler pour un média qui portait des valeurs fortes. Et ce sont souvent les magazines féminins qui tiennent ce rôle-là.
Je pense que ce sont tous ces éléments qui m’ont naturellement orientée vers le lifestyle. Évidemment, j’ai dû construire mon réseau, parce que quand tu ne viens pas de Bruxelles, tu pars déjà avec un fameux désavantage. Mais honnêtement, ELLE Belgique est rapidement devenu mon objectif. Pour moi, c’était le meilleur média féminin du pays : haut de gamme, engagé, exigeant… tout ce que je cherchais. Mais ce n’était vraiment pas simple de décrocher un premier stage là-bas. J’ai donc commencé comme pigiste pour Flair, puis j’ai fait des stages à Bel RTL, ensuite au Soir… et j’ai finalement atteint mon graal : un stage chez ELLE en dernière année. Une fois que j’y étais, je ne suis plus jamais parti. Et ça fait maintenant 14 ans que j’y suis.
L’ADN de ELLE, qui à la base n’est pas belge, c’est de traiter des sujets sérieux tout en les rendant digestes, et d’apporter une touche de légèreté sur les choses plus graves. C’est vraiment un équilibre entre divertissement et réflexion. L’idée, c’est de soutenir les femmes dans leurs combats du quotidien tout en nourrissant aussi leur curiosité, leur intellect. C’est un mélange subtil, mais qu’on maîtrise plutôt bien, je pense.
Ce que j’aime dire souvent, c’est que ELLE, ce sont les femmes. Et les femmes sont complexes, multiples, fascinantes dans tout ce qu’elles traversent. Nous, on essaie de refléter cette richesse-là. On a aussi un vrai côté inspirationnel, qui permet de faire rêver, de s’évader. En Belgique, il y a peu de médias féminins mensuels. Rien à voir avec la France ou les Pays-Bas, où l’offre est plus large. Ici, à part quelques suppléments gratuits de grands quotidiens, on est presque seuls sur ce créneau. Du coup, on se positionne bien, je trouve.
J’ai de la chance : l’équipe avec laquelle je travaille est en place depuis un moment, donc c’est aussi elle qui a façonné l’ADN de ELLE ces dernières années. On fonctionne vraiment de manière collective, et finalement, ce n’est pas si compliqué, parce qu’on part toujours de choses simples : des sujets qu’on a, nous, vraiment envie de comprendre, d’explorer, parce qu’ils nous parlent.
Ça peut aller de questions très sociétales – comme l’impact que pourrait avoir l’extrême droite sur les droits des femmes – à des choses plus légères, comme se demander si la teinte "jaune beurre" fonctionne avec toutes les carnations. Et en fait, on le sent direct en réunion : quand un sujet fait réagir tout le monde autour de la table, qu’on a toutes envie d’en savoir plus, on sait que c’est une bonne idée.
Après, bien sûr, on fait attention à ne pas rester enfermées dans notre bulle. On a toutes des biais liés à notre âge, à notre parcours, à notre métier… Donc j’essaie d’aller chercher des regards extérieurs, des voix qu’on n’a pas forcément autour de nous, pour garder un regard plus ouvert, plus juste. C’est important pour ne pas tourner en rond.
Oui, carrément. Quand je suis devenue rédactrice en chef, j’avais 30 ans, et pour moi, c’était hors de question d’arrêter d’écrire juste pour faire du management. J’étais trop jeune pour ça, et surtout, je n’en avais pas envie. Aujourd’hui, j’écris toujours : pour le magazine, bien sûr, mais aussi de manière plus perso, notamment pour le podcast que je développe.
Je pense que la plume, c’est un muscle. Si on ne l’utilise plus, il s’atrophie. Donc, je continue d’écrire, parce que ça fait partie de moi, mais aussi parce que c’est important pour rester connectée à ce qu’on fait au quotidien et surtout garder la main. Le syndrome de la page blanche est vite arrivé.
Marie No’, c’est vraiment mon binôme. On a commencé au ELLE ensemble, donc on est bien plus que collègues : on est amies, et ça nous aide énormément dans notre manière de bosser. On se comprend vite, on partage les mêmes valeurs, et ça nous a permis de mettre en place une structure vraiment miroir. Chacune est à sa place. Quand c’est du web, je la suis. Quand c’est du print, c’est elle qui me suit. Le print reste prioritaire, parce que c’est moi qui gère le budget de toute la marque, donc j’ai forcément un peu plus de poids à ce niveau-là.
Mais éditorialement, c’est assez équivalent, et surtout, on est super alignées. Ça fait 15 ans qu’on travaille ensemble, donc autant dire que c’est très fluide. Et puis on a la même équipe de journalistes, ça facilite encore plus les choses.
On a longtemps voulu croire que c’était le cas, mais non. Par exemple, les covers qui cartonnent sur les réseaux sont souvent celles qui se vendent le moins en papier. Donc ce n’est clairement pas le même public. Déjà parce que ce ne sont pas les mêmes moments de consommation. Sur le web, le public est plus large, que ce soit en âge ou en genre. Le papier, c’est un public plus âgé, et quasi exclusivement féminin. Et puis ELLE, ce n’est pas que le web et le papier, ce sont aussi les réseaux, les événements… qui sont hyper importants dans notre stratégie long terme.
Oui, je reçois littéralement des centaines de communiqués par jour, que ce soit de la part d’annonceurs ou d’attachés de presse. Et bien souvent, ils finissent par se noyer les uns dans les autres. Ce qui fait vraiment la différence, ce sont les relations humaines. En général, je reviens sur un communiqué uniquement quand un attaché de presse me contacte directement pour me dire : « Écoute Marie, à mon avis, tu n’as pas vu passer ce sujet, mais il pourrait vraiment t’intéresser pour telle ou telle raison. » En fait, je fais confiance aux professionnels avec qui je travaille régulièrement, parce qu’ils savent ce qui peut coller à notre ligne édito. Et puis au-delà de ça, il y a aussi toutes les rencontres. J’essaie d’être présente sur les événements qui me semblent pertinents, et quand j’ai un vrai coup de cœur, je n’hésite pas à le mettre en avant.
Mais il faut aussi rester lucide : les sujets liés aux annonceurs nous prennent énormément de temps. Ce sont des collaborations exigeantes, qui demandent du contenu, du suivi, des validations… C’est une grosse partie du boulot, et il faut réussir à jongler entre tout ça.
Après 14 ans chez ELLE, j’ai eu envie de lancer quelque chose à moi. Je pense que c’est essentiel, à un moment, d’avoir un projet qui permet de s’aérer l’esprit, de se recentrer. Je me suis donc posée une question toute simple : qu’est-ce qui me donnerait vraiment envie de dégager du temps, de m’investir à fond ? Et c’est là que l’idée m’est venue.
Il y a deux ans, j’ai lancé le prix ELLE Women Of The Year, qui met en lumière des femmes aux parcours exceptionnels. À cette occasion, j’ai rencontré pas mal de femmes entrepreneures. En discutant avec elles, je me suis dit qu’on avait en Belgique un vivier incroyable, trop peu mis en valeur. Et pas seulement les femmes d’ailleurs — dans La table des entrepreneur(e)s, je donne la parole à tous les profils, femmes et hommes confondus, parce que l’entrepreneuriat m’inspire, dans ses réussites comme dans ses échecs, et dans tous les secteurs.
Ce que j’adore, c’est que ça me sort complètement des thématiques que je traite au quotidien, ça m’ouvre à d’autres univers, et j’apprends énormément.
Le podcast, je l’ai cofondé avec Haroune Ben Messaoud, directeur financier de Ventures Media, qui prend en charge tout l’aspect business des interviews. À terme, on aimerait que La table des entrepreneur(e)s devienne aussi un format événementiel, où investisseurs et entrepreneuses/eurs pourraient se rencontrer et échanger en vrai. L’idée, c’est vraiment de créer des ponts.
Je suis plutôt optimiste. Je pense que les technologies, comme l’IA, nous aident vraiment dans notre manière de travailler. Aujourd’hui, tout le monde peut créer du contenu assez facilement, donc les vrais bons contenus — les enquêtes, le terrain, les formats approfondis — vont, à mon avis, se démarquer de plus en plus. Ce sont des choses que l’IA ne peut pas faire. On va vers un journalisme de fond, plus exigeant, et je trouve ça très positif.
Je trouve aussi rassurant de voir que certains médias réussissent à trouver des modèles économiques viables avec des contenus en ligne payants. Souvent, ce sont des articles très soignés, très pointus — et ça montre qu’il y a encore une vraie demande pour ce type de journalisme.
Et puis, l’IA peut être un vrai soutien pour les journalistes. Elle me fait gagner beaucoup de temps au quotidien : elle m’aide à dérusher, à structurer mes idées, à dépasser le syndrome de la page blanche. Je trouve même que mes textes sont meilleurs. Donc oui, dans la pratique, ça change beaucoup de choses.
Absolument. Ça reste de l’info, mais c’est une info plus positive, plus divertissante — sans être superficielle. On parle beaucoup de mode, bien sûr, mais on aborde aussi des sujets plus lourds, comme la fast fashion ou le manque de diversité. Ce sont des thèmes importants, engagés.
Dans le lifestyle, on sait que les gens viennent aussi pour passer un bon moment. Donc oui, c’est un vrai choix éditorial de doser le type d’info qu’on propose. Et il y a tellement d’initiatives positives autour de nous que c’est important de mettre l’accent là-dessus.
Ma première fashion week à Paris, je m’en souviendrai toujours. C’était un rêve pour moi, comme pour plein de journalistes mode… mais sur le moment, ça a été super dur. Il y avait énormément de concurrence, tout le monde connaissait tout le monde, et moi, personne ne me parlait. Le premier soir, je n’avais échangé avec absolument personne. Je suis rentrée dans ma chambre d’hôtel, j’ai pleuré à chaudes larmes en me demandant ce que je faisais là, si j’étais légitime… Mais en même temps, je voyais des choses magnifiques : des défilés tous les jours...
Heureusement, avec le temps, j’ai fini par trouver ma place. Tu rencontres des gens, tu t’endurcis, tu prends de l’expérience. Aujourd’hui, j’ai fait plus de quinze fashion weeks, et je les vis complètement autrement.
Écrit par Nonante Cinq
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