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Dans la Rédac” du journal Le Parisien avec Laurence Voyer

Nonante Cinq 12 juin 2025
Dans la Rédac” du journal Le Parisien avec Laurence Voyer

Pour le seizième épisode de la saison 2 de Dans la Rédac, nous nous sommes entretenus avec Laurence Voyer, rédactrice en chef du journal Le Parisien, l'un des plus grands médias français. Ensemble, nous avons discuté de son parcours, de son rôle de rédactrice en chef, de la ligne éditoriale du journal, mais aussi de l'avenir du journalisme et de quelques-unes de ses anecdotes. 

Quel a été ton premier contact avec le journalisme ? D’abord en tant que lectrice, puis en tant que professionnelle.

Ça a commencé très tôt. Chez moi, on recevait la presse régionale tous les jours et on regardait le journal télévisé de 20h en famille. Très vite, j’ai su que ça m’intéressait. J’ai toujours eu ce goût de la rencontre, de l’échange, l’envie d’interviewer des personnalités… Et comme en parallèle, j’aimais écrire, — les dissertations, les rédactions à l’école — ça m’a rapidement semblé évident : je voulais devenir journaliste.

Mais je viens de Lorraine, et il faut être honnête : ce métier est plus simple à démarrer quand on est de Paris. Beaucoup de rédactions y sont basées, et c’est plus facile d’y décrocher un stage quand on a un réseau. Moi, j’ai commencé avec un petit stage dans une radio qui n’existe même plus, histoire de me faire la main. Puis, j’ai passé les concours et j’ai intégré l’école de journalisme de Strasbourg. Là, j’ai vraiment mis les deux pieds dans le métier : j’ai enchaîné les stages — au Républicain Lorrain, au journal Le Parisien, puis à Ouest-France.

Mon parcours était très ancré dans la presse quotidienne régionale, ce qui me convenait parfaitement. J’aimais aller sur le terrain, au contact direct des gens, plutôt que de travailler uniquement sur dépêche.

Après mes études, j’ai décroché un CDD à Ouest-France, puis j’ai postulé pour écrire pour Le Parisien, dans le service où j’avais fait mon stage. Et j’ai eu la chance d’être recrutée. J’ai pris ma voiture et ma valise en direction de Paris et je n'ai jamais fait machine arrière. Ça fait 36 ans que je suis ici, mais je ne me lasse pas. On change souvent de poste, on évolue et, tout ça m'a mené au poste que j’occupe aujourd’hui : rédactrice en chef.

Comment définirais-tu la ligne éditoriale du journal Le Parisien ? En quoi, selon toi, se distingue-t-elle des autres quotidiens ?

Le Parisien est un journal généraliste, sans ligne politique affirmée : on n’est ni à droite, ni à gauche. Notre ambition, c’est de couvrir l’ensemble de l’actualité — régionale, nationale et internationale — en restant accessible, concret et proche des lecteurs.

On fonctionne avec deux titres : Le Parisien, très ancré localement grâce à un cahier départemental bien développé, et Aujourd’hui en France, notre édition nationale. Ces dernières années, on a beaucoup renforcé notre ancrage régional, avec des journalistes de terrain qui couvrent ce qu’il se passe au plus près des lecteurs. Mais en parallèle, nos services nationaux nous permettent de rivaliser avec les autres grands titres comme Le Figaro.

Et depuis quelques années, on développe aussi beaucoup l’actualité internationale, parce qu’on voit à quel point ce qui se passe ailleurs dans le monde a un impact direct ici.

Pour résumer, on aime dire que Le Parisien, c’est l’actu du coin de la rue jusqu’au bout du monde. Mais ce qui nous distingue vraiment, je pense, c’est notre manière de raconter : toujours à hauteur d’homme. On essaie de ne jamais être dans une posture qui expliquerait les choses “d’en haut”. On veut rester proche, clair, concret. C’est ça qui définit notre marque de fabrique.

Tu es aujourd’hui à la tête du journal. Comment décrirais-tu ton métier de rédactrice en chef ?

Je suis rédactrice en chef centrale — on est cinq à occuper ce poste. Notre mission principale, c’est de produire le journal papier au quotidien, en lien avec tous les services de la rédaction.

La journée commence généralement par une conférence de rédaction à 9h30, qui permet de reprendre les éléments discutés la veille en pré-conférence à 17h. À partir de là, on pose une trame, on lance la machine, et chacun sait dans quelle direction on part. On travaille ensuite sur la une, en collaboration avec nos directeurs artistiques, et on rédige les « faits du jour », ces premières pages qui résument les temps forts de l’actu.

Ce poste demande d’être en lien constant avec l’ensemble des équipes : que ce soit les éditions départementales, le service international ou encore le numérique. On garde aussi un œil sur le site, et bien sûr, on suit le bouclage du journal pour s’assurer que tout se passe bien ou régler les imprévus.

En parallèle, je suis aussi référente sur les questions de développement durable au sein de la rédaction. Et dans ce cadre, je pilote un projet qui me tient à cœur : Ma Terre, un bimestriel consacré à la consommation responsable.

C’est un poste très prenant, avec des journées denses et variées, mais c’est justement cette diversité qui le rend passionnant.

En France de manière générale, il se passe énormément de choses. Comment fais-tu le tri entre ce que vous allez traiter et ce que vous laissez de côté ?

La plupart du temps, les idées viennent directement du terrain. Ce sont les chefs de service qui font remonter des propositions, et c’est justement le rôle de la conférence de rédaction d’en discuter, de challenger les sujets, de voir lesquels méritent d’être poussés. Ensuite, je me fie beaucoup aux équipes. Si un(e) journaliste me dit qu’il y a un scoop, une belle interview ou un super reportage à faire, je leur fais évidemment confiance.

Un bon exemple récent : un collègue a décidé d’enquêter en se glissant dans la peau d’un livreur Uber Eats pendant plusieurs semaines. Il a ramené tellement de matière — des anecdotes, des photos… — qu’on en a fait trois pages. C’est typiquement le genre de projet qui prend forme grâce à la communication interne. Il faut parler, confronter les idées, faire circuler l’info.

Et puis il y a une réalité technique : sur le papier, on a des contraintes de place. Mais sur le web, on publie plus de 200 articles par jour. Donc, on a la possibilité d’élargir, de proposer plus de sujets, et c’est une vraie force.

Comment tu adaptes ton contenu aux nouveaux usages numériques, notamment les réseaux sociaux et les formats vidéo ?

Aujourd’hui, on n’est évidemment plus seulement un journal papier. Le Parisien, c’est aussi un site web, des réseaux sociaux, de la vidéo… La marque se décline sur plein de formats, parce que l’enjeu, c’est clairement d’aller chercher de nouveaux lecteurs. L’érosion des ventes print, c’est une réalité, donc ce n’est pas avec le papier qu’on va séduire une nouvelle génération. Il faut aller là où elle est, et ça veut dire innover, tester, se réinventer.

Pour ça, c’est essentiel de s’appuyer sur des profils plus jeunes, qui ont grandi avec ces outils. On a une rédaction entièrement dédiée au numérique, et à la rentrée, on va encore se réorganiser pour aller plus loin dans cette logique.

C’est un autre métier, en fait. L’info reste la même, mais la manière de la présenter, le rythme, les formats… tout change. Et ce n’est même plus uniquement une affaire de journalistes : on travaille aujourd’hui avec des gens spécialisés en SEO, en réseaux sociaux, en newsletters… Ce sont de nouveaux métiers, indispensables dans un média comme le nôtre.

Selon toi, quels sont les plus grands défis que la presse quotidienne doit relever aujourd’hui ?

Pour moi, le plus gros défi, c’est de regagner la confiance de la jeune génération. J’interviens souvent dans des collèges et des lycées pour faire de l’éducation aux médias, et à chaque fois, le constat est le même : aucun ne lit le journal papier, très peu regardent encore le JT de 20h. Quand on leur demande d’où ils tiennent leurs infos, c’est quasi exclusivement via les réseaux sociaux. Et encore… si on a de la chance, c’est via Hugo Décrypte. Mais très fréquemment, ce sont des contenus qui n’ont rien de journalistique. Et honnêtement, ça fait un peu peur.

Donc oui, reconnecter les jeunes à une information fiable, sourcée, rigoureuse, c’est un défi énorme — et pas juste en France, c’est mondial.

Cela dit, je reste optimiste. On a toujours annoncé la fin du journalisme à chaque nouvelle révolution technologique : la radio allait tuer la presse, la télé allait tuer la radio… et finalement, tout cohabite encore. Le support évolue, mais l’info, elle, reste. Et j’espère vraiment qu’on finira par réaliser collectivement que bien s’informer, c’est essentiel. Un peu comme on a fini par comprendre, même tardivement, que l’environnement était un enjeu vital.

Pour terminer, tu aurais une anecdote marquante ou une histoire insolite vécue en tant que journaliste ?

Les souvenirs les plus marquants sont souvent les plus durs. Je vais t’en donner un négatif et un plus positif pour équilibrer.

Le premier, c’est clairement les attentats. Je me souviens encore de ce moment : j’étais à la rédaction, et j’ai fait tous les étages pour dire aux collègues de ne pas partir, qu’on allait avoir besoin de tout le monde. On a envoyé des journalistes sur le terrain, c’était une mobilisation totale. Mais en parallèle, j’avais mon fils à une soirée de travail… donc émotionnellement, j’étais tiraillée entre mon rôle de journaliste et mon rôle de mère. C’était très intense.

Et puis à l’inverse, un super souvenir, c’est celui des Jeux Olympiques de Paris 2024. On a monté une équipe avec des journalistes qui, pour certains, n’avaient jamais couvert le sport de leur vie. Toute la rédaction bossait ensemble sur un seul et même sujet. Il y avait une énergie folle, une vraie effervescence. Des moments inoubliables aussi.

Ce que je trouve beau dans ce métier, c’est que tu vis des choses tellement fortes que tu te dis souvent : « Ok, ça, je ne vivrai jamais mieux. » Et en fait, à chaque fois, tu es surpris, parce qu’il y a toujours un moment qui vient encore te bousculer davantage.

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